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Résumés des articles du n°102

juin 2004


Jacques DÜRRENMATT, La virgule entre sujet et verbe: petite histoire d'un emploi oublié, 102, p. 31-34

En 1925, dans “ Soleils bas ”, Aragon commente l’emploi particulier qu’il fait d’une virgule :

« Et d’abord Georges Limbour, ne vit pas comme tout le monde. Ceci a un sens pour moi, cette virgule. Il ne semble pas que Limbour se félicite autrement d’être sorti avec tout cet univers dériveur… du moyen âge. Le progrès, les temps modernes, je voudrais bien savoir ce qu’il pense de la science : ça doit être quelque chose ».1

C’est la séparation du sujet et du verbe qui apparaît comme intéressante au poète parce qu’elle signifie doublement :

– elle figure l’isolement radical de Limbour, que la suite du texte viendra affirmer ;

– elle inscrit un état ancien de la langue où un tel emploi était possible, mais à certaines conditions qui ne sont pas ici vraiment respectées.

C’est la question de cet emploi particulier dont on traitera ici. Pourquoi et selon quelles modalités a-t-on pu envisager de séparer par un signe ponctuation groupes sujet et verbal ? Quand cet emploi a-t-il cessé et sous quelle influence ?


Cécile NARJOUX, Frédéric Léal ou l’effet parenthèse, 102, p. 51-60

“ Du coup, je n’ai même pas tiré ” est le premier récit, selon les termes de son auteur, du recueil Bleu note, publié en 2003. Le récit en lui-même est traversé, arrêté, par une ponctuation prolifique, dont le but semble être de venir contrarier l’évidence de son déroulement, sa “ mono-linéarité langagière ”(S. Pétillon). Il s’agit principalement de la parenthèse, mais nous trouvons aussi le tiret double, les crochets, la barre verticale, et l’italique. Les signes plus habituellement proliférants, tels que le point ou la virgule, placés à des endroits inusités, semblent se mettre également au service de la rupture de la linéarité et engager un chatoiement polyphonique au sein d’un énoncé monologique à la première personne. On note aussi la présence dissonante d’un point non suivi d’une majuscule, d’un logogramme mathématique, ainsi que l’insertion de trois dessins de tamanoirs noir et blanc sur fond de page blanche.

A l’évidence, loin de constituer une mise au second plan des éléments encadrés ou soulignés par la ponctuation, Frédéric Léal semble avoir voulu mettre en œuvre ce que S. Pétillon appelle la “ complexification ” “ de l’écrire ”. Cette complexification, nous semble-t-il, participe du “ fonctionnement poétique ” qui “ consiste en une redistribution "sémiotique" des éléments langagiers (désarticulation des signifiants, des stéréotypes et de la linéarité syntagmatique) ” (JM Adam) Nous verrons donc comment l’activation de la fonction polyphonique de ces topogrammes, selon le classement de J. Anis, confère au récit sa “ signifiance ”, comme “ organisation, diffusion d’effets à l’état indéfiniment naissant ”. “ Autre chose que le sens lexical des mots, ou leur signification en situation pour un émetteur et un destinataire. Mais ce qui les porte, les traverse, les joint et les disjoints, les englobe ” (H. Meshonnic).




1 L’Œuvre poétique, Livre Club Diderot, 1989, I, p.613-614.